Interview d'Alain Guillou de Naval Group
/L’interview d’Alain Guillou, Directeur Général Adjoint Développement de Naval Group, par Alain Establier a été réalisée sur le salon DEFEA qui s’est tenu à Athènes du 12 au 15 juillet 2021
SDBR News: Naval Group est « Platinum sponsor” de DEFEA 2021. Pourquoi ?
Alain Guillou: Comme vous l’avez vu, la présence de Naval Group sur le salon DEFEA est à la mesure de l’ambition que nous mettons dans le partenariat majeur que nous souhaitons développer avec la Grèce. C’est un pays où nous sommes actifs depuis plus d’une décennie et la Grèce est au cœur d’enjeux stratégiques, notamment car elle contrôle la voie d’accès de la Russie à la haute mer, de la Mer d’Azov à la Mer Noire puis à la Mer de Marmara et enfin à la Mer Egée par le détroit des Dardanelles. Cela suppose d’opérer des navires aux capacités opérationnelles de premier rang dans tous les domaines de lutte. Nous considérons que les FDI de Naval Group sont les frégates les plus adaptées pour sécuriser cette zone extrêmement stratégique. Dès lors, notre présence à DEFEA est évidente et essentielle. Nous avions gagné en 2009 un appel d’offres restreint pour six FREMM françaises que la crise financière a conduit à différer. Nous sommes revenus en 2018 et 2019 pour proposer à la Grèce des frégates FDI dont la négociation avait quasiment abouti à l’été 2020, mais des changements de priorités ont conduit le gouvernement grec à différer une nouvelle fois ce projet puis à ouvrir, ces derniers mois, la compétition à d’autres acteurs du marché.
SDBR News : Pensez-vous avoir une chance de l’emporter cette fois-ci ?
Alain Guillou : Nous nous retrouvons aujourd’hui face à de nombreux concurrents dans la compétition, mais nous considérons que nous avons toujours un rôle majeur à jouer. Nous avons depuis 2008 un bureau commercial à Athènes qui est resté actif depuis toutes ces années malgré les différents reports. Nous avons donc une indiscutable antériorité pour ce projet et avons réalisé un travail intense et sans relâche, tant sur les aspects opérationnels qu’industriels du dossier, avec comme seul objectif de satisfaire les exigences opérationnelles de la Marine grecque ainsi que les attentes des autorités politiques sur les sujets industriels et de souveraineté, sans oublier, naturellement, la dimension économique. Nous avons présenté notre meilleure offre possible pour nous permettre de remporter la compétition.
SDBR News : Quelles sont les attentes des Grecs ?
Alain Guillou : Il nous semble qu’un des points majeurs pour la Marine grecque est le navire, son équipement et sa supériorité navale. Nous considérons également que, dans cette période d’après crise Covid, la dimension industrielle locale du projet doit être très importante. Nous sommes des professionnels du secteur naval de défense et nous avons mis toutes nos forces pour construire un projet industriel concret, complet et cohérent pour la Grèce. Il peut naturellement y avoir d’autres considérations qui conditionneront le résultat de cette compétition et le gouvernement grec fera un choix souverain, avec ses propres critères, dans le cadre de la procédure de dialogue engagée. Les concurrents ont des atouts et nous avons les nôtres : nous bénéficions du soutien de l’Etat français au travers de notre Marine Nationale et de celui de la DGA en support de la procédure d’acquisition.
SDBR News : Quels sont vos atouts ?
Alain Guillou : Si la Marine grecque souhaite des navires capables d’affirmer leur souveraineté dans la région, il est incontestable que les frégates de Naval Group sont les mieux adaptées. Si le gouvernement grec veut un vrai soutien industriel pour revitaliser l’industrie navale locale, je pense, là également, que nous sommes les mieux placés. Nous avons une expérience large et démontrée des transferts de technologie, avec une présence dans plusieurs pays du monde, sur le terrain et en contact régulier avec les industriels des pays afin de les aider à se développer dans le domaine naval, à créer de l’activité et des emplois et à innover pour préparer des projets futurs. La France est en outre plus proche de la Grèce que ne le sont bien d’autres pays, avec une volonté constante dans le temps de soutien et de coopération.
SDBR News : Pouvez-vous estimer les emplois à créer en Grèce ?
Alain Guillou : Notre projet vise à créer plusieurs milliers d’emplois en Grèce dans le cadre d’une stratégie de long terme, pouvant s’élargir à la construction d’autres navires (civils ou militaires) et s’appuyant sur un socle de 40 années de maintenance des frégates FDI. Nous avons la capacité à faire fonctionner nos industries ensemble. Nous avons identifié de nombreux partenaires industriels grecs pouvant intégrer d’ores et déjà notre supply chain mondiale et nous incitons les industriels de notre propre « supply chain » France à s’associer avec des partenaires grecs pour nos différents projets. Plus de 70 entreprises grecques ont déjà été auditées et celles qui rejoindront notre supply chain mondiale seront consultées à chacun de nos appels d’offres, tant pour la France que pour l’export. Et de nombreuses consultations commerciales sont déjà en cours : les actes valent mieux que les promesses !
SDBR News : Et l’Europe dans tout cela ?
Alain Guillou : Sur le plan opérationnel, la Marine grecque fait régulièrement des exercices avec la Marine française car la Grèce se situe dans une zone essentielle pour la souveraineté maritime européenne. Sous l’aspect financier, la Grèce bénéficie du plan de relance européen et a mis sur pied un plan national, « Greece 2.0 »... Cette vision partagée d’une politique européenne de souveraineté dans le domaine naval devrait assez naturellement conduire à privilégier exclusivement le choix de partenaires européens pour cet appel d’offres. L’Europe ouvre en effet un champ d’opportunités suffisamment large pour développer, ensemble, une industrie navale forte, souveraine et pérenne.
SDBR News : Oui, mais concrètement… ?
Alain Guillou : Très concrètement, Naval Group s’est engagé aux côtés de sociétés grecques pour participer avec succès à des projets européens comme, par exemple, le projet USSPs de surveillance maritime avec la société ETME ou encore le projet Miricle dans le domaine de la guerre des mines avec la société Terra Spatium. Les R&D Partnership Days qui se sont tenus récemment à Athènes et Héraklion, ont permis d’identifier de très nombreuses autres pistes de coopération afin de créer ensemble – industriels français et grecs - l’innovation navale de demain. Notre démarche et notre engagement s’inscrivent dans le long terme.
SDBR News : La vitesse d’exécution de votre offre est-elle un élément différenciateur ?
Alain Guillou : Absolument ! La vitesse d’exécution est un paramètre majeur car le monde est de plus en plus incertain, les menaces sont immédiates et très concrètes. Or le temps de mise à disposition de la Grèce de navires de supériorité est déterminant. Il n’est pas possible d’attendre plus de 3 ou 4 ans pour traiter une menace aussi présente et réelle : il faut apporter une réponse aussi rapide que possible. La première FDI Hellenic Navy (HN) sera livrée en mars 2025, c’est-à-dire en moins de 4 ans. Il s’agit d’un bateau de dernière génération, extrêmement moderne par rapport à tout ce qui existe aujourd’hui dans le monde. La FDI HN est un navire qui est doté d’une réelle capacité de dissuasion en Mer Egée. Équipée de 32 missiles Aster ou d'une combinaison de missiles Aster 30 et MICA NG, de 21 RAM, de 8 Exocet MM 40 B 3, de torpilles légères MU90 et d'un canon de 76 mm, la FDI HN offre des capacités inégalées de contrôle de l'espace aérien ou maritime et d'autonomie d'action, en appui des objectifs politiques et militaires. La FDI HN serait un véritable atout de puissance et de souveraineté pour la Grèce en mer Egée.
SDBR News : Est-ce que ce sera l’optimum existant sur mer ?
Alain Guillou : Oui, car c’est un navire de toute nouvelle génération avec, par exemple, des performances inégalées notamment en termes de discrétion acoustique. Dans cette zone maritime, la capacité anti sous-marine est essentielle pour dissuader des agresseurs potentiels et, naturellement, la possibilité d’équiper la FDI HN de missiles de croisière navals constitue un avantage déterminant. Et, malgré cette puissance militaire exceptionnelle, la FDI HN reste un navire extrêmement compact comparé aux autres frégates de même rang, ce qui la rend encore mieux adaptée à la configuration particulière des espaces maritimes helléniques, sans oublier le haut niveau d’automatisation des systèmes. Enfin, la FDI a des capacités d’emport et de mise à l’eau de commandos pour la lutte contre le terrorisme et les menaces asymétriques.
SDBR News : A propos de lutte anti sous-marine, quelle technologie proposez-vous à la Marine grecque ?
Alain Guillou : Nous leur proposons les systèmes qui ont fait leurs preuves sur les FREMM françaises et qui ont valu, en 2020, le "Hook'em Award" aux FREMM Bretagne et Auvergne. En effet, chaque année, la 6e flotte américaine opérant en Méditerranée récompense les unités les plus performantes en matière de lutte anti-sous-marine. En 2020, ce sont ces deux frégates françaises qui ont eu l'honneur de se voir décerner ce prix. L‘efficacité en matière de lutte sous-marine repose, évidemment, sur les performances du sonar mais aussi sur les caractéristiques de discrétion acoustique du navire, lesquelles résultent d’un véritable savoir-faire en matière d’architecture navale. Et, qui mieux qu’un fabricant de sous-marin comme Naval Group pour maîtriser ce tel savoir-faire ? Notre métier est, bien sûr, de faire des sous-marins et des navires de surface mais nous travaillons surtout de manière très proche avec la Marine Nationale française, ce qui constitue notre différenciant et notre force : nous faisons nos bateaux avec des marins pour des marins !
SDBR News : La FDI HN pour la Grèce permettrait-elle une meilleure interopérabilité avec la Marine française ?
Alain Guillou : Le fait de partager le même Combat Management System (le CMS SETIS) avec différentes Marines de la région - la Marine française, bien sûr, mais également la Marine égyptienne - permet d’aller beaucoup plus loin dans la coopération opérationnelle et les échanges d’expériences ou de données. Le fait en outre d’avoir le même navire que la Marine Nationale française permet des échanges opérationnels et des formations croisées pour les équipages, sans oublier des capacités uniques d’évolution vers des veilles et engagements collaboratifs navals permettant de combiner les senseurs et les armes de plusieurs navires pour apporter une réponse globale à une attaque. Un autre aspect concerne le soutien politique apporté par la France à la Grèce qui n’a jamais fait défaut toutes ces dernières années dans le domaine de la Défense.
SDBR News : Un souhait en ce 14 juillet 2021 à Athènes ?
Alain Guillou : Naval Group offre une vision et des partenariats de long-terme. Il ne s’agit pas, pour nous, de vendre uniquement des équipements ou des prestations : nous proposons des solutions de souveraineté navale au service d’une vision de la sécurité maritime grecque, c’est-à-dire un outil de supériorité navale “la FDI HN”, la capacité de le maintenir de façon autonome sur le long-terme et l’opportunité de développer une base industrielle et technologique de premier plan grâce à un programme complet de transfert de technologie.
Nous présentant en « équipe France », avec MBDA comme missilier et Thales comme équipementier, notre offre est globale et totalement intégrée, avec des nouvelles frégates FDI HN dont la première livrable dès mars 2025, deux frégates antiaérienne et anti-sous-marine comme gap fillers ainsi qu’un projet de modernisation des 4 frégates MEKO. Mon souhait le plus ardent est bien évidement que l’offre de notre « équipe France » soit choisie par les autorités grecques.
Crédits photos: Naval Group