Pouvoir et Eglise en Arménie d'aujourd'hui

Le 08 juillet 2025

Alors que le monde se trouve ébranlé par des évènements aussi graves qu’une guerre en Ukraine qui se prolonge déjà depuis trois ans, la guerre des 12 jours entre Israël et l’Iran, et plus largement la prolifération des armes nucléaires, la situation actuelle en Arménie semble passer sous le radar des agences de Presse internationales.

L’Arménie connait aujourd’hui des tensions qui remettent en cause les piliers mêmes de sa civilisation vieille de plus de 3000 ans. Tous les spécialistes de l'ancien Hayastan[1] - le nom historique de l'Arménie - sont au fait des principaux éléments sur lesquels reposent, depuis des siècles, la vision du monde de cette nation.

Tout d’abord, il s'agit de la langue, que la plupart des familles arméniennes parviennent à préserver y compris dans la diaspora. Tout aussi importante est la foi chrétienne, les Arméniens constituant le premier peuple à avoir adopté le christianisme comme religion d’État en 301, sous le roi Tiridate le Grand. Les apôtres Thaddée et Barthélemy ont été les premiers à prêcher le christianisme en Arménie au 1er siècle de notre ère.

Le pouvoir dénigre l’Église

Voilà pourquoi, l'Église apostolique autocéphale arménienne a été l'une des institutions les plus vénérées par les Arméniens au cours des siècles, la parole de son chef - le Catholicos de tous les Arméniens – pesant tout autant que celle des dirigeants du pays.

Depuis moins d’un mois, le Premier ministre Nikol Pashchinyan se lance dans une campagne de dénigrement de l’Église apostolique arménienne. Dans une première déclaration, il indique que « ses églises ressemblent à des débarras mal rangés ». En réponse à la protestation du Catholicos Garegin II, le Premier ministre arménien lance une accusation selon laquelle le Catholicos aurait eu un enfant illégitime, en dépit de son vœu de célibat. Face à cette remise en cause du plus haut dignitaire de l’Église arménienne, un grand nombre de croyants et de citoyens, pour qui l'Église reste l'institution la plus importante de la culture arménienne, prennent la défense du Catholicos.

A son tour le gouvernement, soutenant le Premier ministre, réagit en annonçant la découverte d'une conspiration impliquant des hiérarques de l'Église et des généraux à la retraite, soutiens des anciens dirigeants Robert Kotcharian et Serge Sarkissian.

C’est dans de telles circonstances que Samvel Karapetyan, connu sous le surnom de Tashir (son lieu de naissance), intervient. Cet homme d'affaires important, connu pour ses activités caritatives, prend la défense de l'Église, alors qu’il est connu pour s'être toujours tenu à l'écart de la politique. Arrêté, ses bureaux sont perquisitionnés, puis il est libéré après une semaine.

Dans le cadre de cette affaire, le premier président de l'Arménie post-soviétique, Levon-Ter Petrosyan, a intercédé en sa faveur.

La tension monte encore depuis une dizaine de jours avec l’arrestation de l'archevêque Bagrat Galstanyan ; à la suite de cela, des milliers de personnes se retrouvent dans la rue sous des slogans anti-Pashchinyan. Durant les échauffourées, les forces de l'ordre encerclent la résidence de l’Église apostolique arménienne à Emiadzin, afin d’arrêter l’archevêque Mikayel Ajapahyan de Gyumri.

L’empreinte turque

Cette attaque contre l’Église arménienne est à replacer dans le contexte plus large d’une influence turque grandissante dans la vie politique et économique de l’Arménie.

Ainsi, selon, le politologue Stepan Danielyan, il s’agit là bien d’un plan général recouvrant diverses directions:

  • Une direction territoriale – « le processus en action est le même que celui qui a conduit à la cession de la route Goris-Kapan à l'Azerbaïdjan, en utilisant des toponymes azerbaïdjanais ».

  • Une direction énergétique - avec la multiplication des accords turco-arméniens dans ce domaine. La prochaine étape étant le transfert de "Electric Networks of Armenia" (ENA) à une société turque. Avec, de plus, l'approvisionnement en gaz du pays qui se ferait directement à partir de l'Azerbaïdjan, sous le prétexte de "garanties de paix et de coopération". Le but ultime de ces transformations semble être la fermeture de la centrale nucléaire de Metsamor, conduisant à la disparition d’un des éléments primordiaux d’une relative indépendance énergétique arménienne.

  • Une direction idéologico-religieuse – avec les coups de boutoir portés contre la foi orthodoxe, consubstantielle à l’existence et à la survie de l’Arménie depuis des siècles.

L’approche turque est encore facilitée par le fait que le Premier ministre arménien ne peut se prévaloir d’un bilan positif. Le Haut-Karabakh a été enlevé aux Arméniens, ou plutôt donné à l'Azerbaïdjan sur un plateau par le grand frère d’Ankara. Cela, au moment même où une partie importante du territoire au sud du pays, environ 240 kilomètres carrés selon les comptages arméniens, reste sous l'occupation de l'État voisin (la Turquie) dans la région de la ville de Sisian.

En cas d'escalade du conflit, nul ne peut garantir que l’Arménie ne se "dissoudra" pas d’elle-même et nombre d’Arméniens pensent que la situation actuelle est principalement le fait d’une politique inspirée par des forces extérieures afin de réduire l’Arménie. Une telle politique permettant au gouvernement arménien d’identifier l’ensemble de ses opposants, dans toutes les couches de la société, et de tenter de les réduire au silence.

Cela y compris dans les couches ecclésiastiques et militaires afin de pouvoir nettoyer le champ politique arménien de ses adversaires…

Les auteurs:

 Traduction : Dr-HDR Gaël-Georges Moullec


[1] Selon la légende, Haïk est un géant descendant de Japhet par Gomer et Thorgom (et donc descendant de Noé), et combat Bêl, un géant de Babylone, qu'il finit par vaincre. Cette victoire lui permet ainsi de doter son peuple d'un territoire : l'Arménie. Son peuple le considère comme patriarche de la nation appelée désormais, en son honneur, Hayastan (en français : «Terre de Haïk»). De cette appellation dériverait celle de Hay signifiant « Arménien », ou encore « descendant de Haïk ».