Interview d’Anthony Le Guilloux - Gérant de Develec Sarl

SDBR News : L’entreprise Develec*, nichée au cœur des Côtes d’Armor, a une activité bien particulière. Vous nous racontez ?

Anthony Le Guilloux : Develec a été créée en 1992 par Yves Corbel, avec pour activité première la surveillance d’énergie sur tous secteurs avant de se spécialiser sur les systèmes de surveillance batteries. Nous avons deux domaines principaux d’activité:

surveillance de data center

  • l’industrie, les banques, les data centres et les aéroports. Par exemple, nous fabriquons le système qui surveille les batteries d’alimentation des tours de contrôle d’aéroport et permet de définir la disponibilité des batteries en cas de coupure du réseau EDF.

  • Et les sous-marins. Dans ce domaine, le système est un peu plus complexe et peut être comparé à la jauge à essence : pour définir en permanence l’autonomie restante du sous-marin en matière d’énergie électrique.

  • Et un pole bureau d’études, où nous concevons des produits à la demande, des prototypes en petite série, répondant à des cahiers des charges spécifiques dans le domaine de la surveillance d’énergie et de la gestion d’obsolescence : particulièrement pour Naval Group sur leurs marchés indien et brésilien.

J’ai intégré Develec en 2002 et, avec deux autres collaborateurs de Develec, nous avons racheté en 2013 l’entreprise à monsieur Corbel. C’est alors que j’en suis devenu le gérant, aux cotés de Tugdual Corbel, qui est responsable de la partie industrielle, et d’Emmanuelle Maheo qui est responsable de la partie bureau d’études.

SDBR News : Travaillez-vous en direct avec les grands donneurs d’ordre que vous servez ou au travers d’ensembliers ?

Anthony Le Guilloux : Cela dépend des marchés. Sur la partie industrielle, nous travaillons essentiellement avec les fournisseurs d’onduleurs (Schneider Electric, Socomec, etc.) sur des data centers en région parisienne, dont un gros data center qui héberge en France ses clients américains (Microsoft, Free, etc.) avec 30.000 batteries, et plusieurs sites à Milan (Italie) que nous équipons aussi. Concernant les systèmes pour sous-marins, l’histoire est étonnante. Develec avait développé un système de surveillance pour l’industrie quand lui a été demandé un capteur pour des batteries CEAC (Compagnie Européenne d’Accumulateurs) vendues au Pakistan pour les sous-marins Agosta de conception française. En 1996, Develec a donc créé son premier système de surveillance batterie pour sous-marin. En 2003, les Indiens nous ont contactés car ils avaient appris que Develec fabriquait un système de surveillance batterie pour les Pakistanais et ils nous ont demandé de leur en faire un, car ils vendaient des batteries aux Algériens pour leurs sous-marins de fabrication russe. C’est ainsi que l’histoire a commencé. Il y a eu ensuite le Brésil au travers de Naval Group.

SDBR News : Equipez-vous les sous-marins français ?

Capteur de batterie

Anthony Le Guilloux : Oui bien sûr. Nous équipons le Barracuda au travers du fabricant de batteries choisi par Naval Group, mais la situation devrait évoluer vers plus de simplification. Nous faisons tout, depuis la conception et la fabrication jusqu’à la maintenance des capteurs de toutes tailles, donc nous pouvons répondre à toutes les demandes spécifiques. Aujourd’hui, dans le secteur industriel par exemple, les clients ne veulent plus avoir d’essais de décharge sur les batteries qu’ils utilisent pour vérifier leur état et voir quel élément est plus faible que les autres afin de faire une maintenance préventive : ils ne veulent plus couper les onduleurs des data centers pour maintenance. Donc le moyen d’éviter une coupure pour vérifier son état est de mesurer l’impédance de la batterie et d’étudier son évolution : l’évolution de cette mesure d’impédance permet de définir qu’un bloc va devenir défaillant et son remplacement prendra beaucoup moins de temps qu’en faisant des essais de décharge.

SDBR News : Et pour les sous-marins, la procédure de maintenance est-elle identique?

Anthony Le Guilloux : Non. Pour les sous-marins, c’est plus complexe : pour donner un exemple, sur le Scorpène il y a 360 batteries de 500 kg chacune et le Barracuda est plus gros encore… Donc nous avons un capteur par batterie qui permet de mesurer à la fois la tension de l’élément, le niveau d’électrolyte dans la batterie et la température de l’électrolyte, donc tous les paramètres qui permettent à l’équipage de définir l’autonomie de la batterie : c’est un capteur qui contient un outil de calcul. Nous avons aussi un capteur qui ne mesure que la tension de l’élément de batterie (et ne fait donc pas de calcul), tout dépend du modèle de sous-marin et du budget consacré à ces mesures. Toutes ces mesures sont remontées en fibre optique à un concentrateur de données, lequel est connecté à une interface qui est elle-même connectée à un PMU** qui est le calculateur permettant de définir l’autonomie restante de la batterie.

SDBR News : Craignez-vous la mode des batteries au lithium ?

Anthony Le Guilloux : Nous travaillons pour des batteries au plomb, plomb étanche ou plomb ouvert. Nous ne sommes pas très inquiets pour l’avenir, car d’une part il faut du poids pour permettre à un sous-marin de plonger donc l’argument poids n’en est pas un. D’autre part, vous avez vu comme moi la dangerosité de la batterie au lithium, là où elle est utilisée en mobilité, avec des explosions causant d’énormes dégâts. Ce n’est pas demain que seront implantées des batteries au lithium dans un sous-marin : aujourd’hui on sait maitriser un incendie à bord d’un sous-marin en plongée, ce qui n’est pas le cas avec une batterie au lithium qui peut exploser en dégageant des fumées toxiques. En outre, les batteries au plomb sont recyclables à 99% alors que les batteries au lithium ne sont pas recyclables. Donc les batteries au plomb ont encore de l’avenir.

*https://develec.fr

**Power Management Unit (PMU)

Crédits photos: Develec