Interview d’Antoine DUBOSCQ - Cofondateur et Président de WIMI
/SDBR News : Pourquoi avoir fondé WIMI* en 2010 ?
Antoine DUBOSCQ : Nous avions peu avant mené ensemble, avec Lionel Roux, une mission de conseil stratégique pour la Caisse des Dépôts au sujet de leur doctrine d’investissement dans le numérique. Le succès fulgurant de Dropbox et d’autres plateformes nord-américaines entrainerait inévitablement des besoins en matière de sécurité et souveraineté numérique. Or il n’y avait pas vraiment de réponse européenne. Dans le cadre de notre structure, le studio adVentures, nous avons donc exploré la possibilité de créer une entreprise innovante sur ce marché de la collaboration numérique.
A l’époque les leaders de la collaboration étaient des logiciels spécialisés par type de contenus comme Box pour le partage de documents, Slack pour les messages instantanés ou encore Skype pour les visioconférences. Or les entreprises ne s’organisent pas selon les formats de données, mais par projets… Nous en avons conclu que la fragmentation des outils conduirait à terme la demande à chercher des outils intégrés, plus simples pour piloter les droits d’accès et mieux adaptés à la réalité de la collaboration en mode projet. La vision « produit », forgée par Lionel, nous a donné une longueur d’avance. Ainsi, plutôt que chercher à copier Box ou Slack pour faire un concurrent européen, nous sommes passés directement à la génération suivante.
Quant à la vision business, notre ligne est inchangée : bâtir un futur leader industriel, indépendant et compétitif, en investissant sur les talents et la technologie. C’est ainsi que nous réinvestissons chaque année plus de 30% de notre chiffre d’affaires sur la R&D et la sécurité. Au fil des années nous avons bâti, au contact des clients, une plateforme logicielle et matérielle souveraine, une suite collaborative complète.
En 2019, nous avons remporté le marché lancé par l’Assemblée Nationale pour équiper députés et assistants parlementaires. Les enjeux de souveraineté numérique sont progressivement entrés dans le champ politique et l’expression a même été intégrée au titre du ministre des Finances depuis 2022. Il est possible de réduire le degré de dépendance, nous avons contribué à la prise de conscience sur ce sujet par des tribunes, sondages et prises de parole dans les médias.
En cette année 2025, l’actualité géopolitique met le projecteur sur ces sujets et confirme notre vision, fondée sur trois piliers : cybersécurité, souveraineté et collaboration en équipe.
SDBR News : Pouvez-vous nous préciser ce qu’est une suite collaborative ?
Antoine DUBOSCQ : Une suite collaborative est un ensemble intégré d’outils qui permettent de collaborer en équipe sur des projets. Dans un grand projet, les collaborateurs planifient le projet, se répartissent des listes de tâches, produisent des documents, valident des décisions, échanges par courriels, se parlent par visioconférences ou par messages instantanés, etc. Une suite collaborative numérique leur permet de travailler, de manière fluide et sécurisée, sur l’ensemble de ces activités, contrairement aux outils spécialisés qui imposent un usage fragmenté donc moins productif, plus coûteux et source de failles de sécurité.
En pratique, une suite collaborative est un système d’ingénierie complexe, l’équivalent d’une douzaine de logiciels interconnectés entre eux. C’est pourquoi, s’il existe de nombreux outils spécialisés, seuls quelques acteurs proposent une véritable suite collaborative.
SDBR News : Comment se différencie WIMI dans ce marché ?
Antoine DUBOSCQ : WIMI est une suite collaborative souveraine, alternative au leader nord-américain et la plus complète du marché. Sont inclus par exemple dans la version V7 actuelle, le partage de documents et un drive, les visioconférences, messages instantanés, courriels, gestion de tâches et de projets, agendas, signature électronique - ou encore agent IA en partenariat avec Mistral. Au cœur de l’innovation de Wimi, les échanges constants avec nos clients pour optimiser les usages et intégrer harmonieusement les fonctionnalités. La cybersécurité est aussi un domaine d’innovation constante pour anticiper et protéger, en coordination étroite avec les autorités dont l’ANSSI.
SDBR News : Est-ce que l’arrivée de Teams vous a ralenti dans votre développement ?
Antoine DUBOSCQ : Non, bien au contraire. Le déploiement de Teams a confirmé notre vision d’une plateforme intégrée, facilité l’éducation du marché sur la collaboration numérique et, paradoxalement en raison de son succès, porté au premier plan la question de la souveraineté numérique. Nous avons accédé à de nouveaux marchés et établi des partenariats stratégiques comme ceux annoncés il y a quelques semaines avec le groupe La Poste (via sa filiale Docaposte) ou encore avec Thales pour la Défense. Pour le secteur de la construction, fin 2024 nous avons créé, ensemble avec le CSTB, une joint-venture dénommée Kroqi et la solution est déjà déployée à des dizaines de milliers de professionnels du bâtiment.
WIMI est aujourd’hui la suite collaborative souveraine leader du marché. Nous sommes fiers de la confiance de 2.000 organisations clientes et plus de 140.000 professionnels utilisent la suite Wimi pour piloter leurs projets et protéger leurs données sensibles. Dans la sphère publique mentionnons, outre l’Assemblée Nationale déjà citée, plusieurs ministères dont les Finances, pour leurs échanges avec les sociétés publiques, ou encore des collectivités, laboratoires de recherche… Au sein des entreprises, Wimi est généralement déployée comme plateforme principale et parfois en ‘back-up’ du leader nord-américain, activable immédiatement ‘en cas de pépin’ à travers notre offre Wimi Resilience…
SDBR News : Quel est votre axe de développement aujourd’hui ?
Antoine DUBOSCQ : Aujourd'hui notre priorité est de répondre aux demandes des organisations pour lesquelles la donnée est vitale face aux risques actuels : cybermenaces, malveillances, risques juridiques, dépendance numérique… Le champ est vaste, dans le civil comme dans la Défense.
Ainsi, pour l’industrie de la Défense et du Spatial il n’existait aucune plateforme européenne offrant une suite de collaboration intégrée et moderne, avec un niveau de sécurité "Diffusion Restreinte" (DR). Or la France est le numéro 2 mondial dans l’exportation d’armements et le leader européen. Le secteur de la BITD représente 2.500 entreprises, une myriade de PME et ETI imbriquées autour de grands fabricants et ensembliers. C’est pourquoi le groupe Thales a voulu établir un partenariat stratégique avec Wimi, pour bâtir ensemble une plateforme logicielle et matérielle répondant à ce défi. L’objectif commun est de "révolutionner la collaboration pour les programmes de défense et spatial français et européens". Pendant deux ans, nous avons œuvré discrètement pour combiner nos technologies, verrouiller et valider la sécurité. Enfin, il y a quelques semaines Thales a dévoilé, à l’occasion du FIC à Lille, l’ouverture imminente de la plateforme « Wimi Restricted » dont le lancement officiel est prévu en juin à l’occasion du Salon du Bourget. Au plan technique, l’offre Wimi Restricted est intégrée à la plateforme Thales Trust R-Nest, avec l’ambition d’offrir à la France et à l’Europe un outil stratégique de souveraineté numérique pour l’industrie de la Défense.
SDBR News : Est-ce que la suite collaborative permet d’inviter des participants extérieurs à l’entreprise abonnée chez WIMI?
Antoine DUBOSCQ : Oui bien sûr. Une PME travaille en moyenne sur ses projets avec un multiple de 2 à 6 externes sur le nombre de collaborateurs internes. Réussir un projet nécessite de nos jours la prise en compte de nombreuses parties prenantes, internes et externes. La plateforme Wimi joue là un rôle essentiel pour accélérer ces échanges, fluidifier le travail au quotidien et stimuler la productivité. Le chef de projet et sa hiérarchie disposent d’une palette d’outils de surveillance et de contrôle des accès. Au sein de Wimi, le CEO Lionel Roux pilote la conception produit, au plus près des clients ; il est attaché à combiner convivialité des outils et niveau élevé de sécurité.
SDBR News : Quel est le type d’hébergement proposé à vos clients?
Antoine DUBOSCQ : Wimi offre le choix aux clients : Saas, hybride ou On-Premise. Nous avons fait le choix d’investir sur notre propre infrastructure matérielle, afin de garantir la souveraineté des données, d’optimiser l’intégration matériel-logiciel et maitriser la sécurité de bout en bout - un peu à la manière d’Apple. Ce choix offre un avantage décisif pour la sécurité comme pour la performance d’usages. Mais dans le cas de Wimi, les clients ont le choix de la stratégie d’hébergement qui convient le mieux à leurs besoins. Le plus souvent, ils optent pour le mode Saas sur notre infrastructure, parfois sur une alternative, comme le « cloud privé » ou sur des serveurs en mode « on-premise ». Le lancement de Wimi Restricted avec Thales élargira encore les possibilités, pour les clients concernés par un niveau très élevé d’homologation de sécurité, puisque cette offre est hébergée sur l’infrastructure Thales Trust R-Nest.
SDBR News : Quel est l’objectif pour WIMI?
Antoine DUBOSCQ : L'avenir de WIMI, c'est de devenir le leader européen de la collaboration souveraine. Mais il faut, avant d’investir en Europe, consolider notre position de leader français, bien réussir avec nos partenaires et clients la phase de développement en cours sur les 2 à 3 prochaines années, et atteindre une taille critique. Nous avons actuellement une équipe extrêmement resserrée et efficace de cinquante collaborateurs internes. Ensuite, lorsque nous réaliserons près de 30 millions de chiffres d'affaires, nous lancerons des initiatives à l'Export de manière sérieuse.
*Pour plus d’information voir https://www.Wimi-teamwork.com/fr
** Mistral : https://mistral.ai/fr