Interview de Damien Deubel - Directeur Général de Kerdry

SDBR News : Kerdry* se présente comme spécialiste du dépôt de couches minces à façon. Que recouvre cette définition ?

Damien Deubel : Nous faisons des traitements de couches minces à façon à l’aide d’un parc de machines PVD (physical vapor deposition) qui permettent de faire de l’évaporation de matériaux et nous servons des clients dans de très nombreux domaines : Spatial, Médical, Défense, Aéronautique, Télécoms, Luxe et Recherche. Nous utilisons trois procédés technologiques:

  • La pulvérisation cathodique

  • Le canon à électron

  • L’effet Joule

Nous faisons de la métallisation sur tous types de substrats. Le cœur de métier de Kerdry est le traitement de surface à façon.

SDBR News : Quand l’entreprise Kerdry est-elle née ?

Damien Deubel : L’entreprise a été créée en 2003 à Lannion** par Jean-Claude Keromnes et Claude Vaudry, deux anciens chercheurs de France Télécom, sur un savoir-faire de dépôt de couches minces à façon. Lorsque les fondateurs ont pris leur retraite en avril 2021, Kerdry a été cédée au groupe HEF***, spécialisé en ingénierie des surfaces, qui avait décidé de se diversifier dans le domaine de la photonique. C’est à ce moment-là que le groupe HEF m’a confié la direction de Kerdry où je travaille depuis 19 ans. HEF est une belle ETI française (270M€ de CA et 3000 collaborateurs) de la région de Saint-Etienne tournée vers le développement et la haute technologie, et détenue à 1/3 par la famille des fondateurs, les 2/3 restants étant détenus par les salariés du groupe, ce qui en fait son originalité. Les dirigeants d’HEF savent que notre métier est basé sur du savoir-faire non délocalisable, donc c’est une fusion très positive pour Kerdry.

SDBR News : Quel était le cœur de métier du groupe HEF ?

Damien Deubel : Le cœur de métier d’HEF était le traitement de couches dures pour l’automobile à moteur thermique, donc le rachat de Kerdry est un choix de diversification vers la photonique. Pour atteindre une taille critique dans cette diversification en photonique, le groupe HEF a racheté 6 entreprises en deux ans : Abrisa (en Californie), Kerdry, Fichou (à Fresnes en région parisienne) et Acerde (à Annecy) en 2021, puis Optimask et Neyco ((toutes deux en région parisienne) en 2022. Ces entités, ajoutées à IREIS qui est la filiale R&D d’HEF, constituent la BU Photonics du groupe HEF, ce qui représente environ 40M€ de chiffre d’affaires et 250 personnes. Il y avait beaucoup de complémentarités entre ces entités rachetées et chacune se renforce dans son cœur de métier pour être plus efficace. Le but est de garder le meilleur de chaque entreprise sur son site actuel et non de délocaliser des activités.

SDBR News : Quels exemples de traitement de surface à façon fait chez Kerdry pouvez-vous nous donner ?

Damien Deubel : Nous sommes généralement interrogés sur une problématique par des clients qui ont des pièces sur lesquelles ils souhaitent ajouter une fonction. Nous leur proposons alors une fonction en partant non d’un catalogue mais de notre savoir-faire et des technologies que nous pouvons mettre à leur disposition. C’est pour cela que nous pouvons répondre à des domaines d’activité aussi variés que celles évoquées, avec des applications civiles ou militaires : par exemple le traitement de hublots pour l’Aéronautique (antireflet, dégivrant ou blindage électromagnétique), l’accéléromètre, la photonique (optique des Pods de désignation laser). Pour faire des traitements de l’ordre de 0.1 micron d’épaisseur, nous utilisons des machines sous vide grâce auxquelles nous allons soit évaporer des matériaux, soit pulvériser des matériaux pour les déposer sur les pièces. L’objectif est de conserver les propriétés intrinsèques des matériaux déposés, notamment en pureté : par exemple sur des lunettes, sur des optiques de précision, sur des miroirs télescopes, etc. Nous partons d’un verre sur lequel nous posons une couche d’aluminium pour rendre ce verre réfléchissant. Nous utilisons la même technologie et la même attention pour des pièces de l’industrie du Luxe ou pour le Spatial. Nous nous imposons la même rigueur quelles que soient les applications, donc nous travaillons entièrement en salle blanche et nous sommes certifiés ISO 9001 et 14001.

SDBR News : Quels exemples d’applications pouvez-vous nous donner en dehors de l’Optique?

Damien Deubel : Nous avons de gros développements sur l’infrarouge avec des traitements anti reflets durcis et DLC (Diamond Like Carbon) qui vont être utilisés, par exemple, sur des hublots de sortie de jumelles professionnelles, ou bien sur des applications de détonateurs pyrotechniques pour des fabricants de matériel militaire : détonation initiée par l’électricité. En développement aussi, nous travaillons sur des couches de protection pour moteurs d’avions. Nous faisons donc plein de choses très variées. Un de nos plus gros clients actuels est un fabriquant français de détecteurs infrarouges pour des applications de défense, aérospatiales ou industrielles. Nous adaptons les technologies que nous maitrisons aux demandes spécifiques de nos clients : taille des pièces, géométrie des pièces, encombrement, matériaux déposés, etc.

SDBR News : Qu’est-ce que la photolithographie que vous utilisez ?

Damien Deubel : La photolithographie est l'ensemble des opérations permettant de transférer une image (généralement présente sur un masque) vers un substrat, à l’aide d’une résine. Une fois le traitement opéré, nous enlevons la résine et les motifs de l'image ainsi transférée deviendront par exemple les différentes zones de composants électroniques ou les jonctions entre ces composants : il s’agit de dépôts très localisés et très précis qui peuvent atteindre 1 ou 2 microns de large. C’est un processus de fabrication très manuel, avec un vrai savoir-faire et des techniciens spécialisés : nous avons été pour cela labellisés « entreprise du patrimoine vivant ». Nous sommes en outre accrédités « CIR » (crédit impôt recherche), ce qui nous permet d’être utilisés par d’autres pour leur problématique CIR.

SDBR News : A quel projet du CEA collaborez-vous ?

Damien Deubel : Kerdry participe depuis 2011, en collaboration avec le CEA, au projet CTA (Cherenkov Telescope Array). C’est un projet long, qui consiste à mettre en réseau plusieurs dizaines de télescopes dédiés à l'astronomie gamma, pour élargir les gammes d’énergie détectables et affiner la résolution des résultats. Nous avons eu pour ce projet un transfert de technologie du CEA qui nous permet de réaliser des miroirs : nous ne faisons pas que du traitement de surface sur ce projet. L’idée est de créer des télescopes géants de 12 mètres de diamètre. Kerdry va fabriquer 700 panneaux hexagonaux de 1m² en forme de miroirs : 86 panneaux à assembler pour faire un télescope, le projet prévoyant 14 télescopes. C’est un projet long à échéance de 2025. Nous avons déjà fabriqué 150 panneaux sur du développement et de la présérie, et nous sommes sélectionnés par le consortium pour en fabriquer et en traiter 700, et pour en traiter 700 de plus fabriqués par des Polonais. C’est un beau projet qui nous donne de la visibilité dans ce secteur.

*https://kerdry.com

**https://www.technopole-anticipa.com

https://www.sdbrnews.com/sdbr-news-blog-fr/lannionnbsp-une-technopole-foisonnante-et-un-art-de-vivre?rq=anticipa

***https://www.hef.fr