13 soldats français tués au Mali dans une collision d’hélicoptères : des questions demeurent…

Un Tigre, un Caïman et un Cougar rénové - Crédit Photo: ALAT

Un Tigre, un Caïman et un Cougar rénové - Crédit Photo: ALAT

Lundi 25 novembre 2019, 13 militaires français engagés au sein de l’opération Barkhane sont morts pour la France, lors d’une collision entre deux hélicoptères – un Tigre et un Cougar de l’ALAT (Aviation Légère de l’Armée de Terre) – chargés d’appuyer des commandos parachutistes qui avaient repéré des pick-up suspects et plusieurs motos dans le Liptako malien, zone frontalière avec le Niger et le Burkina Faso. L'état-major des armées a précisé que ces soldats « participaient à une opération d’appui aux commandos de la force Barkhane qui étaient au contact de groupes armés terroristes. »

Le Chef d’état-major des armées, le général d’armée François Lecointre, a précisé que cette « opération de combat a été menée dans des conditions très exigeantes », par nuit noire.

Les commandos parachutistes avaient rapidement engagé le combat, mais avec la nuit et devant la difficulté à franchir un oued pour poursuivre l’ennemi, ils avaient fait appel à des moyens aériens. Une patrouille de Mirage 2000D a d’abord été engagée. Puis un hélicoptère Cougar est rapidement arrivé sur les lieux, avec à son bord une équipe d’extraction immédiate des commandos du 4e Régiment de chasseurs. Puis il a été rejoint par deux hélicoptères d’attaque Tigre. Vers 19h40, pendant la manœuvre destinée à préparer l'engagement de l'ennemi, l'hélicoptère Cougar et un Tigre sont entrés en collision, s'écrasant à une courte distance l'un de l'autre. Aucun des militaires embarqués n'a survécu. Une enquête a été ouverte afin de déterminer les raisons précises du drame.

Les 13 officiers et sous-officiers servaient au 5e régiment d’hélicoptères de combat (RHC), au 4e régiment de chasseurs (RCH), au 93e régiment d’artillerie de montagne (RAM) et au 2e régiment étranger de génie (REG). Après la juste émotion suscitée par cette catastrophe et après avoir respecté le chagrin des familles et des proches, à qui nous présentons encore toutes nos condoléances, il faut bien essayer de comprendre comment cela a t-il pu se produire ?

Ce n’est pas le premier crash d’un Cougar utilisé par  les Forces Spéciales…

Un Cougar de l’ALAT - Crédit photo EMA

Un Cougar de l’ALAT - Crédit photo EMA

Les « Cougars » (Airbus Helicopters) sont des hélicoptères de manœuvre et d’assaut servant au transport de commandos et de matériel ou à la récupération de personnels au sol (pilote d’un avion abattu ou militaires blessés au combat). Ils interviennent généralement en rase-mottes, ce qui est de jour déjà extrêmement impressionnant à observer, et en appui des forces spéciales; ils interviennent de la même façon de jour et de nuit. Il faut comprendre que le Sahel est une région extrêmement sèche où les pales des hélicoptères ont vite fait de soulever des nuages de poussière. A noter à ce niveau que, comme les oiseaux peuvent bloquer les réacteurs d’un avion (péril aviaire) le sable peut obstruer des tuyères et des filtres, altérer les performances du Cougar, voire provoquer des pannes, ce qui n’est pas le cas du Tigre. Dans un rapport consacré aux forces spéciales françaises, les sénateurs Daniel Reiner (PS), Jacques Gautier (UMP) et Gérard Larcher (UMP) écrivaient en 2014 : "Des problèmes majeurs de moteur sont constatés et des changements sont nécessaires entre 60 heures et 100 heures alors que la limite d'envoi en révision générale annoncée par le constructeur (Airbus Helicopters) est de 3.000 heures" !

Y a-t-il eu une défaillance du moteur du Cougar dans la nuit du 25 novembre ?

Mais le Tigre n’est pas exempt de soupçon…

Quant au Tigre, fabriqué par Eurocopter devenu Airbus Helicopters, il rencontre manifestement beaucoup de difficultés hors de France. En 2015, un rapport publié par le ministère australien de la Défense s’était montré extrêmement sévère à l’égard des 22 hélicoptères Tigre ARH [Armed Reconnaissance Helicopters] commandés en 2001 par Canberra, reprochant le faible taux de disponibilité de ces appareils ainsi que le coût, jugé trop élevé, de leur maintien en condition opérationnelle – MCO (d’après OPEX 360). Début juillet 2019, le « Capability Acquisition and Sustainment Group » [CASG] du ministère australien de la Défense a lancé une procédure visant à acquérir 29 nouveaux hélicoptères d’attaque « armés, éprouvés et matures, prêts à l’emploi », afin de remplacer les Tigre ARH : donc pour le Tigre d’Airbus Helicopters, c’est fini en Australie…

De son coté , l’armée allemande a immobilisé tous ses hélicoptères Tigre après un avertissement sur le plan de la sécurité émis par Eurocopter, avait rapporté le journal Der Spiegel du mercredi 07 aout 2019 ! D’après Der Spiegel, confirmé par la Bundeswehr, le problème des hélicoptères Tigre serait dû à une « fragilisation par l’hydrogène » de pièces en titane au niveau du système de contrôle des rotors [Main Rotor Control]. Ces composants seraient ainsi susceptibles de se briser en cours de vol et provoquer la chute de l’appareil. La France n’a pas immobilisé ses Tigres et, quand bien même elle le voudrait, son engagement sur le théâtre de la Bande Sahélo-Saharienne le lui interdit, sauf à se replier…

Dans SDBR le 24 janvier 2017, le général Vincent Desportes (ancien directeur de l’École de Guerre) nous déclarait : « le CEMA Pierre de Villiers répète depuis 2014 que l’application de la Loi de Programmation Militaire (LPM), dans le contexte des opérations actuelles, représente un effort dangereux pour les armées « dont le costume est déjà taillé au plus juste » et que « l’armée française se dégrade plus rapidement qu’elle ne peut se reconstituer ». L’interview complète du général Desportes est à lire ici: https://www.sdbrnews.com/sdbr-news-blog-fr/2019/12/19/interview-du-gnral-vincent-desportes-publie-dans-dsbr-le

Alors est-ce qu’un Tigre a eu une panne technique qui l’a fait tomber sur le Cougar ?

La perte totale de visibilité par instant suivant la manœuvre.

L’AFP du 28/11/2019 reproduisait les paroles d’un pilote de l’ALAT : « Comme je disais aux jeunes pilotes avec lesquels je partais en vol en Afrique, ce qu’on appelle le “poser-poussière” est une remise en cause de soi constante. Que tu aies cinq cents, mille, cinq mille heures de vol, ça ne change rien. Dans le sable, tu ne vois rien. C’est comme se garer dans un garage sous-terrain avec un drap sur le visage et tenter de ne pas toucher un mur ».

Est-ce ce qu’il s’est passé le 25 novembre?

Un Tigre du 5ème RHC au Sahel - Crédit photo ALAT

Un Tigre du 5ème RHC au Sahel - Crédit photo ALAT

Le 17 janvier 2009, un Cougar ayant décollé du pont de « La Foudre », un bâtiment de la Marine nationale française qui croisait à une cinquantaine de kilomètres des côtes gabonaises, s’est écrasé faisant 9 morts. Jean-Dominique Merchet rapportait, dans son Blog Secret Défense, le témoignage d’un pilote d’hélicoptère très chevronné : «L’accident est intervenu dans la phase du vol la plus délicate du survol maritime par nuit noire, en particulier après avoir quitté une phase de vol à vue avec référence du bâtiment porteur. Il est très difficile pour l’équipage d’assurer une transition quasi instantanée entre les références visuelles extérieures et le passage exclusif aux références des instruments de l’appareil. Cela produit de manière régulière des sensations de vertige dans une phase de vol assez instable. Après une phase de dépôt de commandos sur un bâtiment, je peux témoigner personnellement être passé à quelques secondes d’un impact avec la surface de la mer que l’on peut ne pas voir venir. Je me suis aperçu que nous étions en légère descente à une vitesse de 200 km/h... Plusieurs pilotes ont eu des expériences similaires à la mienne… (Parlant du 17 janvier 2009) Samedi les conditions locales étaient nuit 5 de 18H15 à 23h15 TU. Quoi qu’il ait pu arriver, l’équipage s’est donc retrouvé dans les conditions de vol les plus difficiles».

Si maintenant nous transposons « la mer et le bateau » avec « le sable qui bouche ponctuellement la vue et la perception des azimuts », nous pouvons très bien imaginer que des appareils volant à peu de distance et tournoyant autour de cibles au sol aient pu s’aborder et tomber. Est-ce qu’il s’est passé ? 

Dernier élément et non le moindre : les systèmes de vision nocturne

Les pilotes d’hélicoptères de l’armée française volent de nuit avec des systèmes de vision nocturne : des lunettes ou des casques TopOwl, tous produits par Thales. Il faut avoir une grande habitude pour utiliser des systèmes de vision nocturne car, contrairement au fantassin ou au conducteur de véhicule, le pilote d’hélicoptère en opération spéciale est dans une rapidité d’action bien supérieure et dans une improvisation fréquente de ses manœuvres. Rien à voir avec les opérations de nuit menées par la France en Libye en 2011, où finalement les hélicoptères faisaient le « petit train » pour aller frapper des cibles au sol. Au Mali, en ce moment, les plans de vol sont confrontés à la surprise de l’engagement, donc à un risque fort de perte de repères de la part des pilotes.   

Actuellement, les deux membres de l’équipage d’un hélicoptère d’attaque Tigre sont dotés du viseur de casques TopOwl de Thales, lequel dispose d’un système de visionique intégré qui permet d’effectuer des missions de jour comme de nuit, quelles que soient les conditions météorologiques, et avec le même niveau de performance que des jumelles de vision nocturne (d’après OPEX360 22/03/2019).

La perte de repère de nuit est prise en compte par les militaires, puisque la DGA a lancé une étude sur un nouveau concept de visualisation d’image pour améliorer la perception de la situation extérieure et du cockpit. Même si l’objectif de cette étude est de rendre plus efficace la puissance de feu du Tigre, on sent bien que la DGA doit avoir des RETEX de pilotes qui interpellent…

Le Cougar était sur zone une demi-heure avant l’arrivée des deux « Tigre » dans la nuit malienne. Qui a perdu ses repères ? Le Tigre a-t-il perdu sa visibilité et  n’a pas apprécié la distance avec le Cougar, plus lourd et plus lent ? On ne le saura peut-être jamais car les militaires sont souvent avares d’explications en cas de crash. Mais les questions demeurent…

Ce qui est sûr, c’est que cet accident au combat pose le problème des limites de la perception humaine en mode dégradé et des systèmes de vision nocturne, de l’utilisation de matériels anciens sur un théâtre (la BSS) où les conditions d’emplois sont extrêmement agressives pour les machines et les personnels, et donc du maintien en condition opérationnelle de tous… 

AE avec OPEX 360, Blog Secret Défense et AFP

Crédits photos : AP, ALAT, EMA